Deux décennies. C’est le temps qu’il aura fallu pour que le genre du jeu-vidéo de chasse aux monstres voie un réel concurrent entrer dans l’arène. Avec l’arrivée de Monster Hunter sur PS2 en 2004, CAPCOM est devenu le taulier de ce genre sous-représenté (Dauntless ne compte pas). Et après presque vingt ans, force est de constaté qu’ils maîtrisent leur sujet : les écosystèmes, l’échelle et la variété du bestiaire, la richesse proposée par son ensemble d’armes et d’armures… Mais on remarque le début de certaines dérives de la part de CAPCOM, qui peuvent toutes être attribuées au simple fait que depuis vingt ans, personne ne cherche à les bousculer.
Une première tentative, au début des années 2010, voit KOEI TECMO GAMES proposer Toukiden, jeu de chasse au monstres où il est plutôt question de chasser des démons que des créatures sauvages. Le jeu est plus nerveux et moins orienté stratégie. Les ventes sont en deçà des attentes et après un deuxième opus pas forcément couronné de succès, KOEI TECMO GAMES finit par s’associer avec… Electronic Arts ? Il doit y avoir une erreur. Et pourtant, après un remake de Dead Space plus que correct, la machine à aspirer l’argent d’Andrew Wilson vient éditer un jeu sans microtransactions !
Un début classique
Nous sommes dans un Japon médiéval fantastique très classique. Quelques panoramas nous placent le contexte alors que notre personnage rencontre en plein blizzard un étrange inconnu jouant du shamisen (guitare traditionnelle à 3 cordes). Ce dernier nous explique les principes du mondes : le fil de la création, la corruption de certains animaux, l’isolation du village de la région du reste de l’île, etc. Une bonne utilisation de l’exposition d’un monde très conventionnel pour justifier la personnalisation de notre protagoniste. Touche intéressante : même s’il n’ont pas l’air d’avoir un quelconque impact, votre personnage dispose de choix de dialogue, toujours sympa pour mettre un peu de vie là-dedans !
Après un peu de marche, notre chasseur se retrouve à la manière d’un Elden Ring face à un boss bien motivé à nous laver. Ce petit tutoriel est très classique : les petites fenêtres de dialogue apparaissent à l’écran pour nous prendre par la main sans stopper le jeu. Le monstre nous fait perdre connaissance et après un peu de spéléologie, le joueur arrive dans la première région du jeu. Fonctionnel, c’est le mot qui revient le plus à l’esprit quand on pense au scénario du jeu, et c’est tout ce qu’on lui demande ! Le but final de l’introduction est de rejoindre Minato, le village qui servira de hub tout au long de l’aventure.
Exploration, construction
À la différence de son rival, Wild Hearts propose quelques changements bienvenus dans le milieu de la chasse. Le monde d’Azuma est un bon terrain de jeu. Bien qu’il y ait plusieurs niveaux d’altitude, et que l’escalade soit possible, le monde s’étend plus horizontalement qu’à la manière d’un Monster Hunter: World. Mais cela s’explique par le choix qu’a fait Omega Force de proposer bien plus de fabrication au joueur. Dans Wild Hearts, votre principal atout est la maîtrise des karakuri. Ce sont littéralement des fils de la Création qui vous permettront au fur et mesure de créer des objets, du mobilier, etc.
La touche de fraîcheur de l’exploration est que c’est au chasseur de choisir ou placer son camp, avec tout le barda (tente, établi, etc.), qui permettra de créer un point de voyage rapide. Et c’est à vous que revient la tâche d’optimiser les emplacements de camp, que ce soit pour raccourcir les trajets, faciliter un accès, ou profiter d’un paysage ! Bien que l’on puisse l’établir où l’on veut, les développeurs ont pris soin de laisser des zones propices à la construction d’un camp. Elles se distinguent par la présence d’une source d’eau curative, ce qui permettra à notre chasseur de faire le plein de soins. Et petit bonus, certains éléments sont moins chers à construire dans ces zones.
De manière similaire, le pistage des bêtes se fait à l’aide des karakuris, bien que vous puissiez chercher votre proie à pieds. Pas d’empreintes à analyser ou de mucus de bestiole sur le sol. Ici, le sens de chasseur permet d’obtenir un début de piste, et très vite, la possibilité de construire une tour de chasse qui scrutera l’horizon pour vous.
Les karakuris facilitent aussi le déplacement : les boîtes du tutoriel servent pour se positionner lors d’un combat, mais aussi à atteindre des endroits en hauteur, le tremplin permet d’esquiver, et l’hélicoïde vous permet de planer pour rejoindre des lieux en contrebas. À tout cela s’ajoute les karakuris draconiques qui ont eux plus permanents et persistants dans votre monde. Tyroliennes, vortex à vent, panneaux d’indication, machines de pêches, et plein d’autres ! On en vient presque à regretter l’absence d’un système de message à la From Software, ou de partage de construction entre amis…
Au village de Minato, le protagoniste se voit offert une chambre. Cette chambre comme le reste du village sont modifiables par le joueur. Feux de camp, pots de macération ou séchoir à nourriture, même des tyroliennes peuvent être installés pour faciliter la progression ; cette personnalisation fonctionnelle de Minato est un point très positif du jeu puisque le joueur est directement impliqué dans l’évolution du village, autrement que par des cinématiques pas toujours prenantes.
C’est l’heure du duel
Si le monde d’Azuma est sympathique, qu’en est-il du combat ?
Le cœur du jeu, c’est bien sûr les duels épiques qui vont vous faire affronter des monstres de plus en plus gros et violents.
Le chasseur dispose d’un arsenal de huit armes, ce qui est pas mal pour un premier jet. Du katana au bâton change forme en passant par l’arc et l’ombrelle à lame, il y a un peu de tout. Le combat et les déplacements sont plus modernes que ce que propose la concurrence, et sans parler d’équivalent, c’est sans aucun doute un rival bienvenu à la formule de CAPCOM.
Ici, X, Y et RT (Carré, Triangle et R2) font respectivement un coup rapide, un coup lent, et la compétence qui consomme de l’endurance. L’esquive évolue sur trois niveau : une esquive normale, une glissade lors du sprint, et l’esquive par karakuri avec le tremplin, qui permet d’esquiver les plus grosses attaques de zones. Chaque arme dispose d’une jauge qui permet d’atteindre une forme finale de l’arme. Par exemple le katana sur transforme en fouet à lames lorsque sa barre est complètement chargée, débloquant des dégâts supplémentaire et l’attaque ultime de l’arme.

Kemono signifie tout simplement « bête ». Leur design est intéressant dans l’idée. Des animaux qui fusionnent avec un aspect de la nature et grandissent jusqu’à devenir dangereuses. Mais dans les faits c’est un bestiaire bien plus sage que Monster Hunter. Mais à l’inverse de son concurrent, Wild Hearts essaie de maintenir un équilibre entre bête, légende, tradition et monstre.
Où est le monstre ?
Mais là où le manque de recul de Wild Hearts inhérent à sa condition de premier opus se voit, c’est dans la gestion de la caméra une fois la cible verrouillée. Le jeu va alors essayer de maintenir une ligne entre le centre de l’écran, le personnage et le centre du point de verrouillage. Si ça peut passer contre des petits kemonos, dès le troisième convive la caméra a tendance à se mettre au ras du sol pour nous faire apprécier la qualité du terrain. La moitié des dégâts que mon personnage a pris sont à imputer au manque de visibilité, ce qui est difficile à pardonner pour un jeu de 2023 ayant bénéficié de 5 ans de développement et du meilleur (seul?) exemple de la marche à suivre. J’ai fini par m’en passer, me servant d’un double clic sur stick droit pour recentrer la caméra sur le monstre quand la situation m’échappait. Mais je persiste à penser qu’un système plus simple, où la cible verrouillée est recentrée ponctuellement à l’aide d’une touche, tout en laissant le joueur gérer l’orientation (littéralement le système de Monster Hunter: Rise) aurait été bien plus pertinent.

Karakuris en folie
L’utilisation des karakuris se fait de manière simple et efficace : en maintenant LB (L1), on a accès à une roue pour en sélectionner un. Les karakuris de combat sont instantanés et permettent de booster les dégâts, bloquer la charge d’un monstre ou encore de les enflammer.
Il devient vite crucial de les connaître, et de s’en servir. Le jeu présente très vite au joueur les karakuris fusionnés : le barrage que j’évoquais ? Il suffit d’invoquer six boîtes au même endroit, et une petite muraille se tiendra devant vous ; trois tremplins et vous avez un marteau géant à usage unique
Si la crainte d’avoir au premier combat une ambiance Fortnite est présente au début, ce n’est pas du tout mon ressenti. Même si l’aspect et la vitesse de construction similaire au mastodonte d’Epic peut suggérer la comparaison, le système est suffisamment simple pour être instinctif. Ils deviennent peu à peu l’extension logique de notre personnage, et s’intègrent plutôt bien au panel de mouvement dont on dispose. En revanche les karakuris fusionnés manquent de peu la perfection en cela qu’ils sont parfois compliqués à placer. Ce n’est pas une question de terrain, mais plus un souci de placement du bloc. Quand vous vous apprêtez à placer un karakuri, une boîte transparente se place devant vous pour visualiser l’espace total que prendra votre œuvre. Très souvent, le moindre pixel de mouvement et le système de construction vous fait commencer une autre pile…
À ça de briller ?
Malheureusement, ce qui aurait pu être le lancement d’un concurrent sérieux à Monster Hunter, Wild Hearts nous arrive avec nombre de problèmes techniques.
Visuellement
Pour commencer, l’optimisation est inexistante, tout simplement. Une 4090 ou une 3080 ne changeront pas grand chose, et le processeur est complètement bridé, ne dépassant que très rarement les 15% d’utilisation. Même ici, la veille de la sortie, pendant l’accès anticipé de 10 heures, un message des développeurs expliquait qu’ils avaient remarqué ce bridage du processeur… Que s’est-il passé pendant le développement de ce jeu pour que des problèmes aussi critiques soient mis de côté ? Même sur consoles, si les deux s’en sortent, c’est avec quelques difficultés. En effet, devoir retirer le HDR pour pouvoir profiter des couleurs est paradoxal.
Et bien sûr le jeu tourne péniblement à 60 images par secondes avec des chutes de framerate, des problèmes d’éclairage et d’occlusion ambiante. Les options de finesse des ombres ne changent absolument rien à leur finesse. Pas de DLSS, FSR, XESS ou autre technologie de sur-échantillonnage, uniquement une solution maison pire que tout. Pour ce test j’ai tenté plusieurs ensembles d’options, pour passer la majeur partie du temps en 1440p, tout en élevé « bloqué » à 60 images par secondes. Les consoles s’en sortent plus ou moins de la même manière, sauf la Series S qui a plus à voir avec une version Switch tant les textures et les effets sont diminués.
Et pour ajouter l’insulte à l’injure, le résultat final quand tout fonctionne est très inégal. Après deux ans de PS5 et Xbox Series X, même si cette génération est particulière, avec une présence très forte de l’ancienne génération, on devrait avoir une connaissance plus poussée du matériel. Ici, très souvent les textures ont au moins une génération de retard. Et quand on ajoute un manque de complexité dans la structure des niveaux, on ne peut pas s’empêcher de penser que c’est un jeu PS4 qui a pris trop de retard.

Allô ..?
Et enfin, le son.
La musique originale flotte au dessus de la mêlée, usant d’instruments classique et traditionnels tour à tour. Le thème principal évoque la chaleur un peu nostalgique des Monster Hunter, et l’ensemble des musiques est cohérent dans sa progression. Le jeu sait aussi quand l’utiliser, et on évite la musique de fond tout le temps présente ; c’est toujours bien de pouvoir profiter des sons de la nature et de découvrir les détails sonores que les développeurs ont pu cacher dans les décors.
Malheureusement encore, j’aurais pu être bien plus élogieux si le son du jeu ne se mettait en grève après une demie heure de chasse ! Pas mal de monde rapporte ce problème : si une chasse dans une région prend trop de temps (30-40 minutes) le son finit par progressivement s’estomper. Lors de ma chasse contre le Dos de Lave, en plein combat j’ai été frappé par le silence du monstre, puis de mes coups pour n’entendre plus que la musique et au final sombrer dans un néant sonore. Ce petit plus de difficulté à amené le combat à 45 minutes dont un bon quart d’heure sans son. Etant que l’on a pas changé de zone, aucune chance d’entendre à nouveau. Tant et si bien que j’ai manqué plusieurs lignes de dialogue après ce combat… Oh et cerise sur le manque de gâteau, la fenêtre de chat de se mettait plus à jour, et ne disparaissait plus.

Au final, que dire ?
Wild Hearts est un jeu qui fait du bien dans le genre de la chasse. Après une hégémonie de CAPCOM que ni Toukiden ni Dauntless n’ont pu toucher, Wild Hearts est le concurrent le plus propice à devenir le véritable prétendant. Cependant, la performance technique est si mauvaise qu’il est difficile de le recommander au prix fort. Parlons du prix justement : 70€ pour un jeu de chasse qui promet de ne pas inclure d’extension ou de contenu payant, justement parce que ce prix leur permet de tout financer. Je n’y crois pas une seconde, surtout quand l’éditeur n’est autre qu’Electronic Arts. Wild Hearts aurait mérité un mois d’optimisation et de patch pour corriger les problèmes de la sortie.

Parce qu’à mes yeux le vrai problème est là : Omega Force s’est donné pour proposer son alternative, et pour qu’un concurrent d’une série aussi culte que Monster Hunter ait une chance de briller, il faut que dès la sortie tout fonctionne sans accroc. Ici, on a le droit aux problèmes d’optimisations, d’options inactives, un bridage complet des systèmes, le prix fort, EA, et le fait que le jeu est moins beau sur quasiment tout les points que World qui est sorti en 2018 sur des PS4 et Xbox One vielles de 4 ans déjà à l’époque ! Il est même parfois difficile de le trouver plus beau que Rise, sorti sur Nintendo Switch !
Quelle que soit la façon de voir les choses, le fait est que j’aimerais que ce jeu devienne une vraie concurrence à Monster Hunter. Il possède une âme propre, et malgré les ressemblances obligatoires -rappelons nous qu’au début les FPS s’appelaient « Doom-Like »- Wild Hearts parvient à dégager son identité, à la croisée des chemins de Nioh et Monster Hunter. Mais en l’état, à 70€, impossible de recommander une version bêta d’un jeu qui aurait du être vendu 40€. Si les développeurs tiennent sur la durée et corrigent leur jeu, on pourra assister à la naissance d’une vraie alternative à la chasse aux monstres. CAPCOM en a besoin.